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Physics news
26 août 2005

L'age de l'émergence

laughlinDurant cette pause estivale, je me permettrai une fois encore de m’éloigner de l’actualité tout fraiche pour vous parler d’un livre paru dans le courant de l’année 2005 , « A Different Universe : Reinventing physics from the bottom down » aux éditions Basic Books. Son auteur, Robert B. Laughlin, qui a été prix Nobel de Physique en 1998 pour ses travaux concernant l’effet Hall fractionnaire, nous invite à une exploration des thématiques les plus importantes et pointues de la physique actuelle avec un véritable talent de vulgarisateur (vous n’y trouverez aucune équation) tout en initiant une réflexion profonde, totalement provocatrice et novatrice (osons dire visionnaire) sur cette discipline, la façon dont elle se pratique et ses enjeux. Il y quelques années John Horgan publiait un livre dans lequel il enoncait « La fin de la science ». Cela n’est pas sans rappeler certains propos de Stephen Hawking et peut se retrouver en filigrane dans le livre de Brian Greene, « l’univers élégant ». Comme quoi le rêve rêves d’arriver enfin à une théorie du Tout s’accompagne forcément d’une sorte de vision pessimiste, fausse et stérile de la physique contre laquelle Laughlin s’élève fortement dans son livre. Attention, il ne critique pas la tentation de vouloir aller scruter ce qu’il se passe au plus profond de la matière pour en connaître les mécanismes élémentaires ; pour lui, cette tentation qu’il avoue partager est louable et a constitué au cours du XXème siècle l’un des principales moteurs des recherches en physique fondamentale ayant vu, entre autres, l’avènement de la mécanique quantique. Mais voilà, aujourd’hui cette vision réductionniste poussée à l’extrême a atteint ses limites. Elle aboutit au pire des cas à des modèles vaseux (je citerai par exemple les réseaux de quarks dans les noyaux) ou à des théories non encore vérifiables (comme celles des cordes) conduisant à des discussions idéologiques relevant plus de la mythologie ou de la philosophie (et dans une sorte de croyance absolue dans le pouvoir des mathématiques) dans lesquelles il est moins question de ce qui est vrai que de ce que la « vérité » est. Il est clair que la Nature est régie non seulement par les lois entre ses constituants élémentaires mais également par de puissants principes d’organisation collective. C’est ce que semble oublier, d’après Laughlin, les prometteurs des ordinateurs quantiques et des nanotechnologies constituant la deuxième cible sur laquelle il tire à boulets rouges. Ces principes d’organisation collective, qui sont non-déductibles des lois élémentaires, peuvent prendre parfois le dessus sur les parties et les transcendent. On dira alors que ces principes sont émergents. Loin de signifier la « fin de la science », la mise à jour et la découverte de ces principes émergents dessinent une ligne d’horizon infinie d’investigation. Le premier exemple et le plus trivial de loi émergente est la mécanique classique. Cette dernière est le rejeton de la mécanique quantique à la limite macroscopique. Le lien entre les deux a été formalisé par le « principe de correspondance » qui, par définition d’un principe physique, n’est pas démontré mathématiquement. Laughlin nous livre un autre exemple plus frappant encore avec la relativité générale d’Einstein qui serait une propriété collective de la matière composant l’espace-temps devenant exacte à grande échelle mais fausse à l’échelle microscopique. En fin de compte tout semble être émergent et constituer un terrain de jeu à ce nouveau paragdime de la physique moderne, jusqu’aux constantes fondamentales qui n’ont de sens que par rapport à un contexte expérimental précis (voir la charge de l’électron et l’effet Hall fractionnaire). Au final, le livre de Robert B. Laughlin agit comme un antidote, une sorte de vitamine C du physicien démoralisé par l’idée commune que la physique est morte, qu’il n’y a plus rien d’essentiel à découvrir, les restes n’étant que des détails secondaires. Il promeut une vision où l’avenir de la physique, loin de passer par des théories qui ne pourront jamais être prouvées, des extrapolations abusives (comme en cosmologie par exemple pour reprendre la leçon inaugurale de Jayant Vishnu Narlikar du Collège de France) et par des instruments aux tailles de plus en plus coûteux et gigantesques gérés par des collaborations de milliers de personnes, fait à appel à des expérimentateurs curieux, ayant l’esprit ouvert sur le monde et capables de mettre à jour et d’expliquer des phénomènes par nature imprévisibles et faisant partie intégrante de notre représentation générale du monde au même titre que les théories décrivant le comportement des particules élémentaires. références : 1) A different Universe : reinventing physics from the bottom down, Robert Laughlin, Basics Books (mars 2005) 2) http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2005/juin/laughlin.html 3) Emerging physics par Philip Anderson dans Nature 434, 701 (7 Avril 2005)
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